FilmDeCulte - Dans ce troisième volet, le scénario entremêle les séquences d’action avec la vie privée des personnages, un ton que l’on retrouve dans les séries de J.J. Abrams. Est-ce que pour le film, ce ton était une volonté de Tom Cruise et de l’équipe de production ou est-ce un apport du réalisateur sur le script?
J.J Abrams - Quand Tom m’a demandé de faire le film, j’ai d’abord été ravi pour ne pas dire choqué, comme vous pouvez l’imaginer, parce que mon rêve était de faire une version de Mission: impossible qui n’avait pas encore été montrée à l’écran. J’aime beaucoup les deux premiers films mais ce que j’aurais aimé voir c’était la vie d’Ethan Hunt, la vie de l’homme derrière l’espion. Qu’est-ce que ce mec fait quand il rentre chez lui, comment est sa femme, est-elle au courant de la vie de son homme et si elle ne l’est pas, comment cet homme fait pour vivre en trahissant tout le temps la confiance de sa femme? Je voulais montrer tout ça à l’écran et j’ai été ravi de pouvoir ajouter tous ces ingrédients à l’histoire.
FilmDeCulte - Paula, lorsqu’il a été décidé de placer J.J. Abrams aux commandes du film, qu’attendiez-vous de ce talent issu de la télévision?
Paula Wagner - Il n’y avait rien d’innocent dans ce choix. Pour la petite histoire, Tom a reçu tous les DVD d’Alias, qu’il n’avait pas encore vu, il a fini de regarder la série en deux jours. Aussitôt après, il a décroché son téléphone pour appeler J.J. et lui demander de réaliser le film. Car Tom et moi considérons les œuvres de J.J. comme des longs métrages, même s’il ne s’agit que de petites séries. C’est la spécificité de J.J., il a un style unique. Et c’est exactement ce que recherchait Tom. Maintenant que le film est terminé, nous sommes encore plus contents de ce choix.
FilmDeCulte - Pour vous J.J., quelle a été la scène la plus difficile à écrire et à réaliser?
J.J. Abrams - La partie la plus dure à faire se situe du début à la fin (rires). Non en fait la chose la plus dure était de rendre crédible la relation entre les personnages de Tom et de Michelle. Les scènes d’action sont difficiles à tourner en effet, elles représentent un challenge, mais elles restent sympathiques. Le plus dur, c’est vraiment quand deux personnes se retrouvent dans une pièce et se parlent. Il faut que le dialogue sonne vrai. Quand le pont explose ou quand on est à Shanghai, c’est un gros défi oui, mais ce n’est rien comparé aux scènes intimistes. Il fallait vraiment que le public s’attache et s’identifie aux personnages. Est-ce que ces gens se détestent, est-ce qu’ils s’aiment, est-ce que ce sont vraiment de vieux amis? Parce que si ça ne marche pas, c’est tout l’équilibre du film qui est en péril. Par contre, j’ai une question pour Michelle.
Michelle Monaghan - Oui?
J.J. Abrams - Comment c’était d’embrasser Tom Cruise avec Katie Holmes juste derrière? Je suis curieux, je ne t’ai jamais demandé. C’était bizarre?
Michelle Monaghan - (Rires) Non ce n’était pas bizarre. En fait c’est même une expérience très agréable que je conseille à toutes les filles. Pour tout vous dire, après avoir fini d’embrasser Tom, j’ai même dit à Katie: "Je comprends pourquoi tu gardes ce mec!"
J.J. Abrams - Ok merci (rires).
FilmDeCulte - J.J. Abrams, pourquoi aimez-vous tant torturer les femmes?
J.J. Abrams - (Rires)
FilmDeCulte - Oui parce que dans l’épisode pilote d’Alias, vous torturez Jennifer Garner. Dans ce film, vous faites subir de nombreux sévices à Michelle Monaghan et Keri Russell, sans compter que vous avez carrément tué un personnage féminin dans Lost. Alors est-ce que ces idées sont de vous et avez-vous vraiment une dent contre les femmes?
Michelle Monaghan - Il faudrait d’ailleurs en parler à sa femme (rires).
J.J. Abrams - Pour répondre sérieusement à cette question, il ne faut tout de même pas oublier qu’Ethan Hunt est lui aussi bien torturé dans ce film. Et puis dans Alias, le fiancé de Sydney Bristow est tué. Alors oui c’est vrai que je suis peut-être un sadique (rires), mais je suis un sadique qui s’en prend à tout le monde, pas seulement aux femmes. Pour Lost, nous sommes obligés de pousser la série vers les ténèbres parce qu’après, je vais l’amener vers la lumière. On ne peut pas goûter à l’optimisme si l’on n’est pas passé par le pessimisme. Mais pour ma défense j’aimerais ajouter que j’adore les femmes fortes dans les films. J’adore créer des personnages féminins forts et charismatiques. Et des femmes comme Keri, Michelle ou Maggie Q ne sont ni des femmes objets ni de simples victimes. Ce sont des caractères en acier trempé. Regardez, même le personnage de Michelle à la fin du film. C’est elle qui devient presque l’héroïne principale.
FilmDeCulte - Michelle, au départ votre personnage est tout ce qu’il y a de plus normal. Il finit par adopter une attitude de tueuse plutôt efficace. Comment interprétez-vous et comprenez-vous cette transition si radicale?
Michelle Monaghan - C’est justement ça qui m’intéressait. Quand les gens, enfin surtout les femmes, se retrouvent dans des situations extraordinaires, elles sont capables de tout. Et mon personnage, Julia, ne sait pas du tout de quoi elle est capable. Au début elle est plutôt une fille simple, elle ne sait pas que son mari est un espion, elle pense qu’il travaille pour la circulation etc. Et puis j’adore l’idée que les femmes sont capables de faire n’importe quoi quand elles sont amoureuses. Je trouve ça très joli dans cette histoire, cet instinct protecteur, presque maternel, qui est poussé à bout par amour.
FilmDeCulte - Mission: impossible III est bien évidemment un film d’action, mais est-ce que le propos principal du film n’est pas finalement la confiance dans le couple?
J.J. Abrams - C’est le sujet du film: que devient un couple quand l’un des amants n’est pas tout à fait sincère envers l’autre. Tout au long du film Ethan ment à sa fiancée, parce qu’il pense que l’amour est plus fort que tout et que le mensonge n’est pas si grave. Mais petit à petit, il prend conscience qu’il n’est pas honnête. En même temps ce qui est intéressant, c’est de voir qu’Ethan est prêt à quitter ce monde de l’espionnage pour Julia qui, elle, a plutôt l’air contente d’être dans ce monde. A la fin du film, ce n’est toujours pas clair entre eux. J’ai aimé mettre ce petit point d’interrogation malgré le happy end. Car où ce couple va t-il aller maintenant?
FilmDeCulte - Michelle, est-ce que vous pensez intégrer l’équipe de Mission: impossible pour une éventuelle suite?
Michelle Monaghan - J’adorerais. Et si jamais J.J. ne vient pas frapper à ma porte pour le faire, je serais très déçue.
FilmDeCulte - J.J., maintenant que vous avez rendu service à la licence Mission: impossible en réalisant le troisième opus, est-ce que Tom Cruise vous a promis de faire une apparition dans un épisode de Lost?
J.J. Abrams - Oui Tom sera dans Lost! (rires). C’est juste qu’il ne le sait pas encore. J’ai écrit un arc scénaristique de huit épisodes où il devrait apparaître. Non je plaisante. Vous savez, à Hollywood, soit on fait d’énormes films, soit on se consacre à une petite série. Alors il faudra qu’il fasse son choix (rires). Mais à la limite je veux juste qu’il regarde la série (rires).
Paula Wagner - En fait, Tom et moi avons même eu le privilège de pouvoir visionner l’épisode pilote de Lost avant qu’il ne soit diffusé à la télé.
FilmDeCulte - J.J., est-ce que la musique, et en particulier le thème de Mission: impossible que tout le monde connaît, vous influence dans votre mise en scène? Est-ce que vous vous êtes dit qu’il y avait des thèmes que l’on devait impérativement entendre dans le film?
J.J. Abrams - Tout d’abord, il faut savoir que j’ai eu un problème avec cette musique. Sur le plateau, presque tout le monde avait le fameux thème comme sonnerie de téléphone portable. Donc pendant les quatre premiers jours du tournage, dès qu’un téléphone sonnait - à peu près 5000 fois par jour - ça faisait "tain-tain-taintaintain-tain-taintain-taintaintain-taintaintain"… Pour plaisanter, j’ai demandé à tout le monde d’éteindre son téléphone, mais surtout de changer de sonnerie, sans quoi je n’utilisais pas le fameux thème. Je savais que je devais reprendre des thèmes connus de la série, mais je ne savais pas vraiment où ni à quel moment. Je travaille avec Michael Giacchino depuis des années sur la musique de mes séries. Deux mois avant le début du tournage, nous avons établi la liste et l’emplacement des morceaux à utiliser. Nous nous sommes mis d’accord sur la scène du Vatican pour faire entendre le thème principal, parce qu’à mes yeux c’était le seul moment où l’équipe remporte une vraie victoire.
FilmDeCulte - On sait désormais que Tom Cruise fait lui-même ses cascades. Est-ce que, justement, l’arrêter a été une mission impossible?
Paula Wagner - En fait même J.J. a fait ses propres cascades (rires). Comme je travaille avec Tom depuis très longtemps, je sais qu’il exécute ses propres cascades comme un vrai professionnel et même s’il m’arrive de m’inquiéter pour lui, il est toujours très précis et fait tout de A à Z comme un professionnel le ferait. Je me rappelle qu’à l’époque du premier Mission: impossible, lorsque Tom se retrouvait suspendu au filin dans la salle des contrôles de la CIA, j’avais vraiment peur pour lui mais maintenant, à force de le voir évoluer et faire ses propres cascades dans les films, je le laisse faire ce qu’il veut.
J.J. Abrams - Tom a fait ses cascades lui-même et en plus il m’a laissé réaliser ce film. À mon avis ce gars est fou (rires). En même temps, j’adore que Tom fasse ça mais je dois avouer que j’ai un sentiment un peu partagé, parce que c’est ma star et il ne faut pas que je la tue. Pendant le tournage, il m’est arrivé d’imaginer les titres des journaux: "Un nouveau réalisateur tue Tom Cruise". Vous imaginez l’angoisse? J’avais un peu peur de ça. Mais d’un autre côté, quand on voit Tom Cruise faire ses propres cascades, on sait très vite que le film va être meilleur. Et j’ai adoré ça. C’est vrai qu’il était bien entouré par notre équipe de cascadeurs, notamment par Vic Armstrong, mais Tom est aussi bon pour les grosses scènes, par exemple quand il saute de la tour de Shanghai, que pour un combat dans un ascenseur. C’est pour ça que ça marche. Parce que Tom est avant tout acteur, il peut aussi jouer pendant les cascades. Et pour moi c’est ce qui le rend vraiment impressionnant.
FilmDeCulte - J.J., vous vous êtes fait connaître par les séries Alias, Lost ou Felicity. A quel point considérez-vous que les séries télé ont changé de statut et qu’elles sont devenues une source de créativité?
J.J. Abrams - Personnellement, j’ai un peu l’impression d’être sur une vague d’opportunités qui existe aujourd’hui à la télé. De nos jours, on est plus ouvert aux idées qui sont créatives et originales. Donc si on a la chance de faire Alias et Lost, c’est grâce à cette vague qui est en train de changer la télévision aux Etats-Unis. Par exemple, lorsqu’on a lancé Lost, beaucoup de gens nous ont dit que ça n’allait pas marcher, que c’était trop compliqué, qu’il y avait trop de personnages, etc. Mais mon co-scénariste et moi-même avons rétorqué que c’était quelque chose que nous aimerions voir à la télé. Mission: impossible et Lost marchent parce que c’est fait très vite avec une certaine liberté créative, l’inspiration a su rester vraiment pure. A la télévision, les bonnes idées sont noyées et bridées par les producteurs. On perd un peu le fil du coup.
Paula Wagner - Je voudrais juste ajouter un mot sur J.J. en tant que conteur. Ce qui est génial, c’est qu’il prend des histoires assez basiques d’êtres humains, mais qu’il les raconte d’une manière unique. C’est-à-dire qu’il change la structure de ses histoires. Par exemple, il peut commencer ses histoires par la fin sans qu’on perde de vue l’intrigue. Et comme ses histoires sont essentiellement basées sur ses personnages, chacun d’entre eux possède un passé. Quelques lignes de dialogues suffisent à suggérer leur background. Je trouve son écriture fascinante.
FilmDeCulte - A l’exception de Tom Cruise et de la force IMF, quel est le lien logique entre les trois films? Est-ce que ce troisième opus est censé être un héritier direct ou bien peut-on considérer que chaque film est indépendant?
Paula Wagner - Pour Tom et moi, il était clair dès le début que nous voulions pour chaque film un réalisateur et un point de vue différents. Le film que vous avez vu appartient vraiment à J.J. Abrams. Il arrive qu’on retrouve des personnages, mais chaque histoire est indépendante. Mission: impossible est une série, mais constituée de films indépendants.
J.J Abrams - J’ai reçu l’entière approbation de Tom Cruise pour donner vie à mes idées. J’ai vraiment eu carte blanche. Dans les deux premiers films, on ne sait presque rien d’Ethan Hunt, à part que ses parents sont morts et qu’il aime faire de l’escalade. Seule la mission compte. Quand je suivais la série, plus jeune, j’adorais le côté travail d’équipe. Le premier film montre un peu cette facette, mais à part Tom Cruise, tout le monde est tué. Dans le deuxième, l’équipe a disparu. Je l’ai donc ressuscité. On a ainsi pu repartir de zéro.
FilmDeCulte - Justement, en parlant d’équipe, dans le film on peut voir Keri Russell et Greg Grunberg ainsi qu’une partie des techniciens travaillant avec vous à la télé. Etait-il important pour vous d’être entouré de personnes que vous connaissiez déjà?
J.J. Abrams - Sur le tournage d’un film on est très pris par le temps. C’était très important de pouvoir travailler avec le jargon établi avec mes partenaires télé. Ils étaient si heureux de participer à un tel projet qu’ils ont vraiment travaillé comme des dingues. Ils ont fait un très bon boulot. Ce bonheur a tellement été communicatif que Tom et Paula seraient très contents de retravailler avec la même équipe pour un prochain film.
FilmDeCulte - A la fin du film, deux options s’offrent à Ethan Hunt: soit la IMF, soit la vie de famille et le shopping avec les enfants (rires). Que peut-on en déduire? Pensez-vous qu’il y aura un Mission: impossible IV ou est-ce que sera désormais sa vie de famille que Tom va privilégier?
J.J. Abrams - (cherchant désespérément Tom Cruise du regard dans la salle) Euh…Tom? (rires).
Paula Wagner - Vous savez, l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée est un combat de tous les jours.
J.J. Abrams - C’est une idée que je comprends tout à fait. Par exemple, quand j’ai rencontré Tom Cruise pour la seconde fois, je me suis aperçu à quel point il était facile de parler avec lui. C’était comme si on se connaissait depuis toujours alors que waouh! j’étais quand même en face de Tom Cruise, cette immense star. Moi je ne suis que... moi (rires). Cet équilibre entre vie professionnelle et vie privée était donc intéressant à traiter dans le film.
Propos recueillis par Christophe Chenallet.